Dans le précédent article (partie 1), nous nous étions arrêté à 1968 et au certificat d’obtention végétale qui permet à une firme (l’obtenteur), de détenir des droits sur une variété qu’elle aurait « créé » et de mettre hors la loi, de fait, toutes personnes qui oserait replanter des graines de ce végétal protégé par des « droits d’auteur » (y compris les semences de fermes, pour un usage non commercial). Mais l’histoire n’est pas finie, car le cynisme est sans limite…

Domaine public, un espoir ?

Mais du coup, cette protection juridique a une fin, et arrive un moment où la variété tombe dans le domaine public, forcément ?

Bien sûr, mais rappelez-vous, il ne suffit pas qu’elle soit dans le domaine public, elle doit également figurer au fameux catalogue….

Et en pratique, lorsqu’une variété tombe dans le domaine public (après 25 ou 30 ans), il arrive souvent qu’elle soit radiée du catalogue, soit parce que la maintenance n’est plus assurée par l’obtenteur, soit parce que celui-ci demande la radiation.

Eh ! Pas bête le gars, il préfère en vendre une nouvelle qui elle, sera protégée… Oui parce que la protection, depuis quelques années, ça peut rapporter gros, même en dehors des poursuites judiciaires, regardez plutôt :

Un racket organisé : une taxe pour ressemer sa récolte

2011. Une loi paraît pour « assouplir » le système des COV (Certificats d’Obtention Végétale) et autoriser l’utilisation de ces variétés protégées pour faire des semences de ferme pour 21 espèces… à condition de rémunérer l’obtenteur. Oui, oui, vous avez bien compris le principe, l’agriculteur paye le géant industriel pour avoir le droit d’utiliser les graines produites par les plantes qu’il a payées, plantées, nourries quelques mois avant. Double peine. C’est ça la privatisation du vivant, messieurs et dames.

 

Ah non, j’avais oublié, en terme de privatisation du vivant, il y a mieux. Oui, parce que le COV est un peu poreux, si vous voulez, il permet d’utiliser la variété à des fins de recherches ou pour en créer de nouvelles. Par contre, les américains, eux ont tout compris. Grâce au brevet ils ont verrouillé le système de manière bien plus efficace de l’autre côté de l’Atlantique. Qu’à cela ne tienne, on va prendre modèle sur eux.

Grâce aux OGM, le système de vente des semences pourrait enfin être verrouillé

Certaines variétés peuvent désormais inclure un gène incorporé par transgenèse (le processus qui donne un organisme génétiquement modifié ou OGM). Or, comme l’a confirmé la directive 98/44 du 6 juillet 1998, les fonctions de ces gènes peuvent être couvertes par un brevet. CQFD.

 

Evidemment, les OGM, en France, sont très mal acceptés. Il y a donc une autre solution pour verrouiller le système et éviter que les variétés soient utilisées à tort et à travers par des paysans qui ne voudraient pas rémunérer les géants semenciers. Cette solution, c’est la sélection variétale elle-même…

L’arrivée des hybrides F1 sur le marché : une innovation sur la sélection variétale qui produit des semences stériles

 

1970. De nombreuses semences dites F1 sont sur le marché (1948 pour la première arrivée en France, du maïs). Sûrement une des plus belles trouvailles des industriels pour augmenter leurs marges aux dépends de l’homme et de l’environnement.

Alors qu’est-ce qu’un hybride F1 et que peut-on lui reprocher ?

Difficile d’expliquer simplement la sélection variétale sans quelques notions de génétique. Voyons plutôt comment cela se passait avant et comment les jardiniers amateurs ou les paysans militants procèdent toujours :

La sélection variétale à l’origine et au jardin

Vous récoltez vos légumes et vous gardez les graines des spécimens qui vous semblent les plus beaux, les plus vigoureux, les moins sensibles à la maladie, les plus goûteux, d’une couleur qui vous plaît. Ces graines, vous les semez l’année suivante. En se croisant et se fécondant, elles vous donneront des fruits peut-être encore plus beaux que ceux de l’année d’avant, ou du moins correspondant aux critères de choix que vous avez fait et ainsi de suite d’années en années… jusqu’à ce que le matériel génétique s’érode. En fait, il est important d’apporter un peu de matériel génétique neuf, sinon, il y a risque de « consanguinité » pour imager les choses. D’où l’importance d’échanger des semences.

 

Comment cela s’est-il passé à partir du moment où cette sélection a été réalisée par des industriels ?

La sélection variétale « classique »

(extrait du site semences paysannes)

Le principe est le même. Seulement, les industriels ont trouvé des moyens pour le faire de manière plus précise (sélection des caractères intéressant) et en masse. Rien à redire à cela, c’était le but recherché à l’époque pour augmenter la production après-guerre.

Le sélectionneur commence par chercher deux individus A et B (ou deux populations ) qui présentent chacune des caractéristiques intéressantes que l’autre n’a pas. Il souhaite rassembler l’ensemble de ces caractéristiques dans une même variété. Pour cela, il cultive A et B côte à côte mais soigneusement isolés de toute autre population. Il féconde A par B après avoir supprimé les étamines de A pour qu’il ne puisse pas s’auto-féconder. Il récolte sur A la semence « AB » de première génération, dite F1 (F1 pour « 1ère fécondation »).

L’année suivante, il sème cette semence AB, laisse les individus se féconder librement et récolte la semence F2 (la 2ème génération) et ainsi de suite pendant plusieurs générations. A chaque génération, il élimine, dans la population, tous les individus qui n’ont pas l’ensemble des caractéristiques intéressantes repérées dans A et dans B. C’est la phase de sélection proprement dite qui permet de stabiliser la variété AB. A chaque génération, la proportion d’individus éliminés diminue. Il faut 8 à 10 générations pour stabiliser AB. Cette phase de stabilisation est, en même temps, une phase de multiplication : chaque année, le nombre d’individus cultivés augmente, ceci afin de disposer de suffisamment de semences la huit ou dixième année pour pouvoir commercialiser aussitôt la variété.

La production de variétés hybrides F1

Vous l’aurez compris à la lecture du paragraphe précédent. Les hybrides F1 sont les individus issus de deux populations A et B. Rien de dramatique alors ?

Eh bien, au lieu de les croiser, de les sélectionner et de les multiplier sur le long terme, pour gagner du temps, l’industrie a décidé de commercialiser directement F1, et donc, plutôt que de faire la multiplication sur plusieurs années en parallèle de la sélection, cette phase à tout bonnement été supprimée.

Du coup, il faut, pour obtenir suffisamment de graines « F1 » à vendre, avoir beaucoup de A et beaucoup de B. Or on ne veut pas que A et B se mélangent à d’autres et perdent les caractéristiques qui nous intéressent. On va donc les multiplier, isolément, par autofécondation. Cette consanguinité forcée va donner deux lignées pures, en fait deux populations de plantes « au bout du rouleau ». Elles sont mises ensemble, en rangs alternés, dans une parcelle de multiplication. Que se passe-t-il alors ? L’une, A, sur laquelle la semence F1 sera récoltée, est castrée puis fécondée par l’autre, B qui sera détruite après fécondation.

Très bien, ce n’est pas très sympa pour A et B, mais leur croisement va leur redonner la vigueur et le « shoot » de diversité génétique dont elles ont besoin, non ?

Certes, mais cet effet, nommé hétérosis et à l’origine des prétendues qualité des F1 (croissance végétative plus importante) va être de courte durée. En fait, tellement courte qu’il ne sera pas possible de ressemer F1, car sa descendance n’aura pas les mêmes qualités puisque c’est une variété qui n’a pas été stabilisée. L’agriculteur est donc condamné à racheter des semences F1, encore et encore, toujours plus chères au fur et à mesure qu’il est coincé dans ce système.

De plus, les fruits des variétés hybrides reflètent l’immaturité de leur pied mère et sont moins goûteux, moins riches nutritivement, une sorte de réminiscence des grands parents épuisés A et B. Bref, une vaste arnaque qui aboutirait à une récolte catastrophique s’il étaient ressemés l’année suivante.

L’étau se referme…

Les semences anciennes tendent à disparaître avec l’interdiction de vente dont elles sont le plus souvent frappées faute d’inscription au catalogue. Elles sont remplacées par des variétés développées plus récemment, des hybrides F1, des semences qui ne peuvent être ressemées, frappées de stérilité, instables, et de toute façon propriété des industriels. Une semence stérile… c’est un non-sens, une aberration. Ce n’est pas une semence dans ce cas, c’est un objet de mort, un poison qui a remplacé les graines de vie qui existaient encore il y a 50 ans.

 

Et il n’y a pas que les agriculteurs qui sont les victimes de ce système. Nous le sommes tous, dans notre consommation quotidienne, mais aussi parce qu’on nous vend ces mêmes semences en jardinerie. On les fait entrer chez nous, dans notre potager, elles remplacent des variétés de vie. Elles ne se ressèment pas, et il faut racheter les graines, tous les ans, ou tous les deux ans le temps qu’on remarque que quelque chose ne tourne pas rond avec la descendance de ces graines-là. C’est l’ère du jetable après tout: les dosettes, les emballages, les téléphones et puis maintenant le vivant.

 

Mais certaines associations, certains chercheurs, se sont élevés contre ces injustices et cet accaparement du vivant par des firmes privées. Elles ont fait pression sur les pouvoirs publics, cherchent encore actuellement des solutions légales pour conserver la biodiversité extraordinaire des semences, et mobilisent le public pour que chacun à son niveau agisse en citoyen responsable…

 

Dans la partie 3 à venir, un peu de positif avec l’action des associations et des solutions pour agir dans son jardin !

Retour à la Partie 1 de cet article: La petite histoire du catalogue des semences

 

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