Ce week-end, petite balade dans la forêt tropicale du centre de l’île (Martinique). Et que de belles rencontres végétales ! Notamment celle avec ce géant de la forêt hygrophile- c’est à dire qui aime l’eau, enfin elle a pas trop le choix la forêt vu qu’il pleut toutes les 5 minutes alors qu’on est en pleine saison sèche de Carême. Il produit une résine très aromatique utilisée comme encens et comme baume médicinal.

J’ai littéralement buté sur ces énormes racines qui envahissent le chemin de randonnée. Mais c’est seulement au retour qu’une lumière s’est allumée dans mon esprit. Le fait de marcher dessus libère une odeur très particulière, un peu irritante qui fait penser aux cires d’antiquaires. C’est l’odeur de la térébenthine (qui vient des résineux comme le pin) caractéristique aussi de la résine du Gommier blanc (Dacryodes excelsa), un arbre endémique des Antilles.

Et avec la vidéo:

Il peut mesurer jusqu’à 35 mètres de hauteur. J’ai eu du mal à photographier ses feuilles…

Quelle joie de prélever un peu de cette résine qui exsude toute seule des racines. Avec les ongles, un petit morceau de bois, ce qui tombe sous la main car forcément, c’est la seule fois où je pars en balade sans mon couteau ! Pfff Pas grave, pas besoin de collecter des kilos, juste de quoi en utiliser un peu comme encens. En effet, je l’avais déjà évoqué dans cet article : Qu’est-ce qui se cache derrière les encens? Des oléorésines…

Qu’est-ce que la résine, pourquoi les arbres en produisent-ils ?

Pour se défendre !

Les résines sont excrétées hors des cellules végétales dans des canaux résinifères ou à l’extérieur de la plante. Elles se différencient des latex qui se maintiennent à l’intérieur des parois cellulaires (dans les canaux laticifères) et qui ne s’échappent qu’en cas de blessure. Et elles n’ont rien à voir non plus avec la sève, qui elle assure la distribution de l’eau, des sels minéraux ou des sucres.

Les résines sont impliquées dans les mécanismes naturels de défense de l’arbre. Quand celui-ci est blessé, la résine suinte et forme une barrière protectrice qui assure la cicatrisation et protège des infections et attaques des parasites qui pourraient profiter de la blessure pour s’introduire. Certaines études récentes ont montré que la résine permet aussi une protection contre les hautes températures et la dessèchement.

Comment récolter la résine ?

Dans la mesure où certains arbres rejettent spontanément leur résine, il suffit de se servir. Par contre, c’est extrêmement gluant, donc utiliser un ustensile pour ne pas s’en mettre plein les doigts: le savon ne suffira pas et l’eau encore moins pour s’en débarbouiller!

Si vous avez des besoins industriels- ce que je déplore-, il vous faudra blesser l’arbre et récupérer l’exsudat. On voit sur la photo ci-dessous des entailles réalisées à la machette.

Sur cet arbre, on voit nettement que des entailles ont été pratiquées pour récupérer l'exsudat
Sur cet arbre, on voit nettement que des entailles ont été pratiquées pour récupérer l’exsudat
Bloc de résine de gommier blanc photographié à la foire agricole de Rivière Pilote
Bloc de résine de gommier blanc photographié à la foire agricole de Rivière Pilote

La petite histoire du gommier des Antilles (Dacryodes excelsa)

Plusieurs bois appartenant à la famille des Burséracées ont reçu le nom de Gommier car ils sécrètent lorsqu’on entaille l’écorce une gomme ou une résine. C’est la cas du Bursera simaruba appelé Gommier, Gommier rouge ou Gommier barrière, du Tetragastris balsamifera appelé Gommier ou Gommier encens ou enfin du Dacryodes excelsa appelé Gommier blanc. C’est ce dernier que j’ai rencontré.

Il a été utilisé par les populations caraïbes pour fabriquer des canots creusés dans la masse. Ces embarcations tirent leur nom de l’arbre (gommiers) et ont aujourd’hui été détrônées par les yoles qui leur ressemblent comme deux gouttes d’eau.

A quoi sert la résine de gommier blanc (ou résine de Cachibou)

Le gommier était également utilisé pour sa résine dont il était fait un usage tant utilitaire que médicinal et rituel. Cette gomme était exportée en Europe dans des grandes feuilles de Cachibou, une plante qui sert à la fabrication des fameux chapeaux bakoua, d’où le nom de résine de cachibou qu’on lui a donné.

Une utilisation médicinale

Dans des écrits du XIX° siècle, on trouve qu’elle est préférable à la colophane, le résidu solide obtenu après distillation de la térébenthine des pins, et qu’elle est indiquée en cas de dysenterie, néphrite et qu’elle est expectorante. Souvent, on ne distingue pas l’usage des différentes résines issues des gommiers qui semblent avoir les mêmes propriétés et des compositions très proches. Cette résine serait vulnéraire, c’est à dire capable de guérir les blessures. A tel point qu’un conte circule, sur le fait que les cochons sauvages, en Amérique, frottent leurs blessures sur les arbres qui exsudent cette résine pour se soigner… Réalité ou légende? quoi qu’il en soit, la résine du gommier rouge, de la même famille (Bursera simaruba) est indiquée par Longuefosse pour soulager les courbatures et soigner les entorses.

En Colombie, on en tirait le tabonuco pectoral, servant de baume ou d’onguent médicinal.

Un petit morceau de résine récoltée sur une racine de gommier blanc
Un petit morceau de résine récoltée sur une racine de gommier blanc

Bougies, encens et rites religieux

Cette résine blanche inflammable servait à la fabrication de bougies. Elle servait d’encens à l’église, pour les rites catholiques, et de combustible pour les flambeaux. Les fumigations rituelles de cette même gomme sont toujours utilisées dans les rituels hindous en Guadeloupe et en Martinique.

Pour ma part, après essai dans mon magnifique encensoir en pot de fleur (pour ceux qui n’ont pas suivi, l’explication à cette bizarrerie est ici), je trouve l’odeur de cette résine fabuleuse! Elle brûle doucement et libère une odeur très agréable, qui ne pique pas le nez… adoptée!

 

 

Étanchéifier les embarcations

La résine du gommier blanc aurait également été utilisée pour étanchéifier les embarcations.

 

Pour finir, un petit texte du Père Labat qui témoigne de l’utilisation du gommier au XVIII°s par les indiens Caraïbes:

«Je visitai nos bois, et j’eus bientôt trouvé un arbre suffisant pour faire un Canot de trente-huit pieds de long, sur cinq pieds de large dans son milieu: c’étoit un Gommier.

On appelle ainsi cet arbre, à cause qu’il jette de lui-même ou quand on lui fait une incision, une quantité considérable de gomme blanche, friable quand elle est bien seche, ordinairement de la consistance de la cire, d’une odeur aromatique, qui brûle parfaitement bien, soit qu’on l’allume seule dans une terrine, soit qu’on la mette en flambeaux avec une meche dedans. L’odeur qu’elle rend est agréable, rien ne purifie mieux l’air ou un lieu qui a été long-tems fermé, que d’y brûler de cette gomme; ce qu’elle a d’incommode, est que sa fumée est épaisse, et noircit beaucoup. Il y a de petits Habitans qui en font des chandelles….»

 

Jean-Baptiste Labat, 1742. Nouveau Voyage aux Isles Françoises d’Amérique, Paris.

 

Les racines sur lesquelles on bute, agressions quotidiennes des promeneurs qui sont sûrement à l'origine de la production de la résine blanche
Les racines sur lesquelles on bute, agressions quotidiennes des promeneurs qui sont sûrement à l’origine de la production de la résine blanche

Autres noms:

  • Résine Cachibou
  • Tabonuco (Puerto Rico)
  • Elémi des Antilles
  • Gommart
  • Gommier blanc

    10 replies to "Le gommier blanc et la résine Cachibou: de l’encens à portée de main"

    • boullenger

      Bonjour, avez vous des informations sur les feuilles ainsi que les fruits de cet arbre?

      • Cécile Mahé

        Bonjour, j’ai mis les infos dont je dispose dans l’article 🙂

    • Chantal

      Bonjour,
      Nous avons fait une belle promenade ce matin avec un guide local à la Dominique et il nous a montré le gommier blanc. Un petit morceau d’écorce qui doit contenir de l’huile à voir la manière dont il a brûlé, tout en dégageant une délicieuse odeur d’encens.
      Je voulais en savoir un peu plus sur cet arbre et j’ai trouvé votre site. Merci Cécile, vos commentaires ont bien complété ceux de notre guide (anglophone).

      • Cécile Mahé

        Avec plaisir Chantal 🙂

    • Broise

      Je vous remercie pour ce blog. Je cherchais des informations sur le gommier blanc pour mon travail d’écriture et d’images. C’est donc chose faite, grâce à votre travail.
      C. Broise

      • Cécile Mahé

        🙂

    • Morel

      Excellent article !
      précisions scientifiques et anecdotes !
      vos videos sont très bien faites aussi.
      je suis acccompagnateur en montagne récemment arrivé en Martinique et je cherchais des informations de botanique tropicale.
      Merci et continuez comme ça, c’est super !

      • Cécile Mahé

        Merci Morel! Un grand merci, car cet article a une petite histoire derrière lui et ça me touche encore plus que ça apporte à un accompagnateur en montagne. N’hésitez pas si vous avez des questions ou des précisions pour certaines plantes 🙂

        • yARRIS BINGHI

          Salutations a vous!
          Avez vous des photos des graines de gomier blanc svp

          • Cécile Mahé

            Bonjour Yarris, non je n’ai pas ça en stock 🙁

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