En Dominique, le savant mélange entre l’héritage des indiens Caraïbes, premier peuple à habiter les Antilles, la culture Rasta et les richesses naturelles exceptionnelles de l’île, laisse présager un fort recours à une médecine par les plantes ou « herbal medicine ». Et même si comme partout dans le monde, celle-ci est en déclin face à l’omniprésence de la médecine conventionnelle, le recours aux plantes reste bien présent.

Les “bush teas”, une véritable institution

Ne pas confondre thé et thé

Survivance du passé colonial, le « bush tea » (ou tisane) est hérité de l’époque où les travailleurs des plantations prenaient un thé au lever du soleil avant de partir travailler. Le deuxième thé de la journée était pris dans la matinée. Rien à voir avec la tradition de nos amis anglais où le « tea-time » fait plutôt référence à une tasse de thé d’Assam pris dans l’après-midi. En fait, en Dominique, souvent la personne ne précise pas « bush tea » mais seulement « tea », ce qui peut désigner de nombreuses boissons sauf le traditionnel thé que l’on connaît, importé d’Asie. Le bush tea est préparé à partir de plantes locales. Cela peut être une infusion de feuilles, de racines, de fleurs, d’écorce… , et il fait partie intégrante de la culture dominicaine. Le chocolat rentre dans cette dénomination, et le café aussi peut être appelé de la même manière ! Pour ma part, j’ai eu l’occasion de goûter des thés de gingembre (racine), de feuilles d’oranger ou encore de basilic (feuilles).

L’origine de ces thés

L’origine de ces thés médicinaux remonte aux indiens Caraïbes. Par exemple, ils utilisaient traditionnellement Catharanthus roseus “periwinkle plant” pour le traitement du diabète. Cette plante et ses extraordinaires propriétés ont été reconnues plus tard par la science : la Pervenche de Madagascar, son nom français, entre dans la composition de molécules anticancéreuses. Parmi les plantes couramment utilisées d’après la littérature ou que j’ai tout simplement vu en vente dans les magasins, on retrouve la citronelle (lemon grass Cymbopogan citratus), le Bois d’Inde (bay leaf Pimenta racemosa), sous forme d’huile essentielle ou de Bay Rum ou dans le chocolat chaud pour parfumer, le noni (Morinda citrifolia), le ricin (castor Ricinus communis), sous forme d’huile, et la goyave (guava Psidium guajava). J’ai également vu dans les magasins des remèdes naturels contre le chikungunya qui semblait être des alcoolatures.

citronelle
Un énorme buisson de citronelle photographié sur le Waitukubuli trail vers Wotten Waven

Des différences entre l’ouest et l’est

 

Mais il y a des différences importantes d’utilisation des plantes selon que l’on se trouve dans l’Ouest ou dans l’est de l’île (la dernière réserve d’indiens se trouve dans cette dernière partie). Voici un témoignage extrait d’une enquête ethnobotanique :

“Clem also spoke to me about the different views of herbe a fer. In the Caribe territories, this plant is called ‘spirit weed’ and will protect them from evil. In other regions, it is used to cure headaches and ulcers. Clem uses it as a spice and said that if Caribs knew it was in their food they would not even touch it. The different opinions of plants are because of the different cultures both regions have. The east region of Dominica is where the Carib territory is located, and the west is somewhat the more modern educated region of the island.”

 

La représentation de la maladie : théorie des humeurs

 

La maladie est vue comme le résultat d’humeurs, froides ou chaudes qui pénètrent le corps d’une personne et modifie l’équilibre de son “système”. Il y a plusieurs voies possibles pour que ces humeurs pénètrent dans le corps. Une blessure par exemple, peut permettre à un élément froid ou chaud de contaminer une personne, une personne peut avoir un coup de chaud en travaillant sous le soleil.

Mais le cas le plus fréquent est lié à l’alimentation et à un régime déséquilibré, ou qui n’est pas adapté au mode de vie. Cette vision de la maladie est largement répandue (on la retrouve dans les îles voisines). La différence est que les dominiquais considèrent le plus souvent que ce qui est animal est comme l’être humain, neutre, en termes de chaud et de froid.

Un environnement encore préservé et des richesses naturelles exceptionnelles
Un environnement encore préservé et des richesses naturelles exceptionnelles

Rasta : un mode de vie proche de la nature

 

Au-delà de l’héritage du savoir des indiens Caraïbes par le biais de ces infusions qui font partie de la vie des dominiquais, de leurs habitudes, l’omniprésence de la culture rasta peut aussi expliquer la survivance du savoir lié aux plantes médicinales.

Le mouvement rastafari est très présent en Dominique. Les rastas de l’île se sont convertis à la suite du mouvement jamaïcain né dans les années 30. A l’origine, le mouvement rastafari puise ses racines en Afrique, avec le dernier empereur d’Ethiopie Hailé Sélassié, que certains considèrent comme un messie annoncé par les textes bibliques. Lors de son couronnement, le prince (ou Ras) a été rebaptisé « Ras Tafari », d’où le nom de ce mouvement. Il s’agit avant tout d’une philosophie de vie basée sur la solidarité et le respect de la nature, et bien sûr la musique reggae chère à Bob Marley n’est jamais très loin. La plupart d’entre eux vivent des produits de la terre 100% bio qu’ils cultivent. Les adeptes ne consomment pas de viande ni de produits de la vigne. Leur régime est constitué du I-tal à base de riz, fruits, légumes, racines et graines. L’usage de la ganja (chanvre) ou « herbe de sagesse » fait partie du culte rastafari.

Malheureusement, malgré un petit détour par Bellevue-Chopin, je n’ai pas pu rencontrer Roy Ormond, un fermier rasta qui fait visiter son exploitation bio. On peut trouver sur Internet des reportages sur cette figure locale:

Une volonté de valorisation des ressources naturelles

 

Par ailleurs, il semble qu’il y ait une mobilisation autour de ces savoirs et des richesses naturelles de l’île, comme outil de développement économique. En effet, la création du trail qui traverse l’île de part en part et fait le bonheur des trekkeurs (Waitukubuli Trail) est pensé en termes de préservation de l’environnement, de tourisme responsable et de maximisation de retombées pour les populations locales, essentiellement axées sur l’agriculture.

De plus, la valeur thérapeutique des sources chaudes naturellement soufrées (voir mon article ici) très présentes dans l’île pourrait voir naître d’ici quelques années un tourisme médical en plus du tourisme nature.

    2 replies to "Rastafarisme, « bush teas » et médecine traditionnelle en Dominique"

    • Clémentine

      Merci pour cet article très intéressant, vraiment. Je ne connaissais pas du tout la culture médicale de la Dominique et tu m’apprends des choses, j’aime bien ça !
      Par contre la théorie des humeurs rappelle beaucoup la médecine d’Hippocrate qui était basée sur les 4 humeurs.
      Je m’interroge par contre quant au tourisme médical…
      Bonne journée à toi.

      • louzoutraveller

        Oui, c’est tout à fait ça, beaucoup de médecines découle de cette fameuse théorie des humeurs qui a été élaborée par Hippocrate. Si c’est comme en Martinique, cette vision aurait été apportée par les européens (http://louzoutraveller.com/conference-debat-sur-la-pharmacopee-caribeenne-animee-par-lethno-pharmacologue-emmanuel-nossin/)
        Pour le tourisme médical, c’est évidemment à double tranchant, mais bien géré ça peut amener des opportunités pour les populations locales… quoi qu’il en soit on n’en est pas encore là!
        Merci pour ton commentaire et une belle journée à toi aussi

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