Entre brainwashing et greenwashing, information et désinformation, on en a entendu des choses sur cette huile de palme depuis 2013 ! Diabolisée, éjectée des formulations de cosmétique des tambouilleuses en herbe ou plus chevronnées, persona non grata des recettes de cuisine, patate chaude de l’industrie agro-alimentaire… Cette huile dont on n’avait jamais entendu parler est devenue une indésirable du jour au lendemain : mauvaise pour la santé, responsable de toute la misère du monde et des plus grandes crises écologiques. On tenait enfin le coupable de tous les maux du XXI° siècle à savoir en vrac, l’obésité, la déforestation, les mauvaises conditions de travail. Tout en un, le palmier-alibi. Livré à la vindicte populaire, le palmier à huile à eu chaud à ses noix… mais pourquoi ?

Ceci est une analyse totalement personnelle de la situation. Ma vision des choses par rapport à ce que j’ai vu, lu, entendu, depuis les allées du salon de l’agriculture à Paris jusqu’aux champs de palmes du Cameroun. Je ne cherche pas à vous convaincre d’acheter (ou pas) de l’huile de palme. Je ne donne pas la solution miracle pour résoudre la crise écologique planétaire (désolée). Je donne juste quelques informations et arguments qui pour certains me semblent avoir été moins médiatisés. A vous de vous faire votre opinion et de la partager en commentaires, si du moins vous avez le courage de lire mon pavé !

Silence radio sur le stand RSPO

 

Ce matin de semaine, il n’y avait pas encore trop de monde dans les allées du salon de l’agriculture à Paris. Désert en fait. Ca tombait bien, j’allais pouvoir discuter avec les entreprises présentes, laisser mon CV : j’étais en recherche d’emploi en ce début 2014 et pour un agronome, le SIA comme on dit dans le milieu est une vraie aubaine. Le stand de la toute jeune RSPO (le label huile de palme durable) m’intéressait particulièrement. Sur le papier, j’avais pile poil les compétences pour aller me vendre car j’ai une spécialisation en management du développement durable avec 5 ans d’expérience au service des entreprises. Oui mais voilà… j’ai eu le droit à des regards gênés. Le gentil monsieur a essayé de refiler le bébé encombrant que j’étais à sa collègue qui m’a expliqué sans sourciller qu’ils n’avaient pas besoin de gens qui s’y connaissent en agriculture ou en démarches responsables des entreprises. Non, eux ce qu’ils cherchaient à ce moment-là, c’étaient des profils dans la communication, le marketing…

Et effectivement, ce matin là sur le stand, personne n’a été foutu de répondre à une seule question sur la culture des palmiers. On m’a tendu un prospectus et dirigé gentiment vers la sortie. Y a des questions qu’on ne pose pas à Monsieur Nutella …

Huile de palme: un affrontement idéologique ou économique ?

 

D’où vient l’attaque de l’huile de palme ? Difficile à dire. De ce qu’on a vu, des ONG qui dénonçaient la déforestation massive en Malaisie. ONG qui, on le sait sont sous le contrôle des industriels qui financent leurs activités. Mais en réalité, est-ce que d’autres n’ont pas un intérêt à voir remplacer l’huile de palme par autre chose ?

Ca tombait bien, le made in France avait été mis en avant : citoyens, c’est la crise, achetez français ! L’huile de palme, elle, n’est pas française. Elle a un p’tit côté « pas de chez nous » qui pourrait bien déplaire en ces temps difficiles. Avec une petite couche de bons sentiments sur fond de déforestation et de conditions de travail abominables, le message est passé comme une lettre à la poste auprès des citoyens de plus en plus concernés par l’avenir de la planète et par le PIB en chute libre de la France. Certaines marques se sont joyeusement engouffrées dans la brèche, utilisant un affichage « sans huile de palme » comme argument de vente.

Tout ça ce serait bien passé, si quelques industriels n’avaient pas résisté, au rang desquels, en première ligne, pour amadouer les nombreux amateurs aux souvenirs de jeunesse imprégnés de pâte au chocolat, Nutella. Ferrero a dit non. Suivi dans sa folie par plusieurs autres qui n’avaient pas envie de foutre en l’air plusieurs années de R&D et de recettes bien rôdées, la riposte s’est organisée. Oui, ils allaient continuer à utiliser de l’huile de palme, mais elle serait « durable ». Et zou un p’tit coup de peinture verte, et ça allait passer.

Riposte du camp adverse : durable ou pas l’huile de palme est un danger mortel pour la santé. On découvre, une fois de plus, que l’industrie agro-alimentaire nous aurait empoisonné tout ce temps là ! Pauvres de nous… même notre tendre Nutella ?

Riposte du camp « huile durable » : non c’est pas vrai, l’huile de palme est bonne pour la santé, études à l’appui…

Bon, si on regarde ça avec un peu de recul, ça ressemble à une dispute entre frères et sœurs sur le mode « c’est lui qu’a commencé d’abord ». Navrant. Surtout quand on voit les conséquences de ces petits jeux de pouvoir de l’autre côté de la planète.

Tous, d’un côté comme de l’autre font bien peu de cas de la santé du consommateur. Ou de la déforestation. Ou de l’économie des pays émergents. Comme le disait Milton Friedman, et les temps n’ont pas changé depuis « Le bien-être et la société ne sont pas l’affaire de l’entreprise. Son affaire est de faire de l’argent, pas de la musique douce ». Ils se livrent juste une petite gueguerre économique qu’ils déguisent en croisade écologique…rappelez-vous sur le salon : la responsabilité ils s’en cognent, eux, ils communiquent. Marketing, quand tu nous tiens…

Qu’est-ce qui se passerait si on arrêtait d’écouter ?

Je m'excuse auprès de l'auteur du dessin: je l'ai trouvé sur facebook, mais j'ignore d'où il vient
Je m’excuse auprès de l’auteur du dessin: je l’ai trouvé sur facebook, mais j’ignore d’où il vient

Huile de palme et géopolitique : les gros industriels européens vertueux contre les petits paysans irresponsables du tiers-monde 

Il y a des gens qui en vivent de l’huile de palme ailleurs dans le monde, et pas seulement en Malaisie. Des familles, des enfants qui vont à l’école grâce à ça. Des gens qui ont le droit de décider quel est l’avenir de leur terre. Des gens qui ont le droit de raser leurs forêts si ça leur chante comme nous l’avons fait chez nous, après tout. Non, ce qui est réellement lamentable, c’est que nous allions raser les forêts des autres pour produire les ressources qui nous sont nécessaires à entretenir notre PIB. Mais ça, c’est loin de concerner uniquement l’huile de palme. Cette politique néo-colonialiste marche pour pleins de denrées. Alors, c’est un peu facile de réduire les dysfonctionnements globaux d’un système mondialisé à cette pauvre huile de palme, qui par ailleurs a beaucoup de qualité. Comme je le disais en intro, c’est un bouc-émissaire. Mais ça aurait pu s’arrêter là, sans l’entêtement des consommateurs, toujours prompts à adopter un affichage publicitaire « sans ». Parce que dès que c’est « sans » c’est cent fois plus bon : sans sucre, sans gras, sans colorant, sans gluten, sans rien… ça se vend toujours à prix d’or et qui se frotte les mains?

Oui mais voilà, sans rentrer dans les détails, les certifications mises en place pour pouvoir contrecarrer le « sans » par un « garanti durable », comme souvent, ont le mérite d’évincer les petits producteurs qui ne peuvent pas se mettre aussi rapidement aux normes que les gros industriels… En Indonésie, le gouvernement a essayé de contrer cette opération en mettant en place sa propre certification. J’ignore si elle a eu autant de succès et a déployé autant de moyens que la RSPO…

Huile de palme et santé : acides gras, graisses trans et autres concepts

 

Présentation des deux camps en présence:

Les gentils : les acides gras insaturés, nos oméga 3, 6, 9 (principaux constituants de nos huiles végétales : tournesol, colza, olive…)

Les méchants qui donnent du mauvais cholestérol : les acides gras saturés (principaux constituants des graisses animales et végétales : saindoux, coprah, beurre, huile de palme). On parle de graisse car ces huiles sont solides à température ambiante. Enfin, à 20°C, ce qui n’est pas la température ambiante sous les tropiques.

Mais saviez vous que les gentils pouvaient devenir des méchants ? En effet, le processus d’hydrogénation qui sert à stabiliser les gentilles huiles qui ont une fâcheuse tendance à rancir trop vite, les transforme en acides gras saturés et « trans » en plus. Alors, pas de changement de sexe au programme mais un changement au niveau moléculaire qui a été identifié comme un facteur de risque cardio-vasculaire. Oups.

Le « soucis » ayant été souligné, les industriels ont trouvé la solution : l’huile de palme. Qui vaut mieux que ces graisses trans, bien qu’elle contienne des acides gras saturés. En plus, elle a l’avantage d’être solide à température ambiante, ce qui est un plus pour les recettes au niveau de la texture, du croustillant aussi, bref, le saint-graal des huiles végétales, on l’avait trouvé !

Alors la demande a augmenté jusqu’à ce que.. patatras, on découvre que pour la produire, il fallait cultiver des palmiers. Et que pour cultiver des palmiers, il faut un endroit où les planter (c’est fou, on n’arrête pas le progrès !), d’où la déforestation en Malaisie…

 

Alors, finalement, ma conclusion, c’est que notre consommation excessive de produits industrialisés combiné aux modes et lubies alimentaires en tout genre, orientées par des études plus ou moins bidons, ont des conséquences drôlement fâcheuse pour la planète et l’environnement et aussi pour des gens à l’autre bout du monde. Ce qui est marrant, c’est que la plupart de ces lubies se réclament écologistes, ça fait réfléchir, non ? En tout cas, moi ça me fait cogiter !

Je reviendrai en deuxième saison vous parler du palmier à huile (Elaeis guineensis) qui au-delà de toutes ces considérations lointaines a de réelles propriétés médicinales qui méritent d’être présentées dans un vrai article qui lui est consacré rien qu’à lui et pas dans un billet de (mauvaise) humeur 😉

    6 replies to "Le palmier à huile et son huile de palme : arrêtons les frais !"

    • christian COLIN

      Bonjour Cécile,

      pour avoir vécu 5 ans au Cameroun et y avoir côtoyé des directeurs de plantations de palmiers à huile, je pense qu’une plantation de taille humaine ne nuit pas à la biodiversité, toute proportion gardée. J’ai vu dans les plantations une faune abondante et une flore existante. On peut toujours dire que là où l’homme met les pieds, une partie de la nature disparait mais cela est vrai pour tout. Donc à chaque fois, ce qui est pris avec modération ne fait pas de mal.

      Matière à réflexion sur l’humanité!

      Christian COLIN

      • Cécile Mahé

        Merci Christian pour ce retour! Je suis totalement d’accord avec vous 🙂 de la modération en toute chose. Le palmier en lui-même n’est pas nuisible

    • Christian Allié

      Je suis tout à fait d’accord à propos des qualités du fruit du palmier, entre autres: le poisson, ou, le poulet au “Gnemboué” (sauce à base de noix de palme pilées (à la main)) est un des délices de la cuisine gabonaise….!
      Les qualités nutritives et médicinales, …. je les recommande … itou!
      Je déplore les ravages écologiques de la déforestation liés à l’exploitation industrielle (dégradation mécanique des sols et autres poisons) de cette essence, et, j’en suis témoin (25 ans de vie en forêt gabonaise, donc tropicale …)

      Tous vos articles sont très intéressants, je vous en remercie!

      Na vovo (à bientôt en langue Omyènè, Gabon)

      • Cécile Mahé

        Merci beaucoup Christian, ça me va droit au coeur. Comme dit sur facebook… j’attends la recette du Gnemboué!!! Na vovo (on en apprend des choses ici!)

    • laurence

      Merci Cécile, toujours intéressant tes articles, ce matin je lis le palmier à huile en regardant le fleuve St Laurent à Montréal, et je souris à la beauté de la vie. Bravo Cécile, continue ton chemin et peut être un jour au plaisir de te rencontrer pour « jaser » comme on dit ici-même de plantes et autres herbes médicinales ou utiles à l’homme.
      Laurence

      • Cécile Mahé

        Merci beaucoup Laurence! Moi je souris à l’image du palmier qui s’affiche dans le paysage automnal québecois… la magie d’internet 🙂 Merci pour tes encouragements, c’est très précieux, et oui, j’espère bien qu’on se verra si tu viens en Martinique!

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