Imaginez-vous dans le décor de Jurassic Park ou d’Avatar, un de ces films à gros budget où l’on a l’impression que tout est sorti de l’imagination d’un mégalomane, y compris la végétation. Tout petit à lever le nez du sol vers le ciel que l’on voit à peine de toute façon avec tous ces arbres qui cherchent la lumière. Parmi eux, un intrus.

Non, l’intrus ce n’est pas vous, c’est ces fougères qui se prennent pour des arbres avec leurs 7-8 mètres de haut. Elles en ont la taille, l’allure avec un tronc et des frondes comme des branches feuillues mais.. elles cachent bien leur jeu. Elles ne s’embarrassent pas comme leurs voisins géants à fabriquer du bois, à consolider leur base… elles poussent beaucoup plus vite, avec un tronc qui est en réalité un stipe, comme les palmiers, ce qui leur permet de gagner leur place très rapidement. D’ailleurs, lors de ma dernière randonnée, j’ai vu un « champs » de fougères arborescentes à un endroit où une coupe avait été effectuée, leur laissant ainsi le champs libres. Rapides, agiles, elles se faufilent dans ces forêts humides qui leurs sont propices, déploient un à un leurs frondes (c’est l’équivalent des feuilles), et recommencent encore et encore. A chaque étage, des cicatrices demeurent là où les anciennes ont laissé leur place, gravant des formes géométriques mystérieuses sur ce qui leur sert de tronc.

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Des losanges d’une régularité impressionnante ornent le tronc

Mais c’est qu’elles ont les pattes poilues ces demoiselles ! Le contact avec la base est rugueux, comme si on caressait un porc-épic (quelle idée!). Ce sont en réalité une multitude de racines qui sont restées là, avec la croissance de la dame.

La fougère, tout un art : sculpture rasta

Loin d’effrayer les rastas, en Martinique, c’est à cette communauté que l’on doit le plus souvent de magnifiques sculptures dans cette partie presque épineuse de la fougère. Le « tronc » est délicatement sculpté, souvent des personnages. En plus d’être décoratifs, ces éléments ont surtout une utilité dans les jardins où ils permettent la croissance des épiphytes et des orchidées grâce au substrat resté dedans et à l’humidité emmagasiné par cette matière rèche à l’extérieur et spongieuse à l’intérieur. On en fait également des pots de fleurs.

sculpture-fougere-orchidee

Traditionnellement, ce type de structure est surtout représentative du Vanuatu (Mélanésie, Océanie) où ce sont de véritables totem (ou tiki) de plusieurs mètres de haut qui sont sculptés et posés devant les maisons. Plus que de l’art, ces statues sont rituelles et accompagnent les cérémonies de passage. Mais ça constitue aussi un excellent souvenir proposé aux touristes- dans un format plus adapté.

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Un vrai porc-épic… propice aux épiphytes!

Attention cependant, car ces fougères sont inscrites sur l’annexe II de la Convention de Washington sur le commerce des espèces menacées (aussi appelée CITES). Cette annexe regroupe des espèces qui ne sont actuellement pas menacées mais pourraient le devenir si leur exploitation s’accentuait. Leur commerce et surtout leur exportation peut être autorisée mais nécessite un permis. Il s’agit des Dicksonia sp. En Martinique, nous avons essentiellement Cyathea arborea également inscrite.

La fougère, ne se laisse pas faire

On s’en serait doutée avec toutes ces racines qui ressemblent à des épines… les fougères arborescentes, que ce soient les Dicksonia ou les Cyathea ne semblent pas avoir une grande vocation culinaire ou médicinale. Elles, leur truc, c’est plutôt l’art et le jardin. J’ai trouvé en fouillant un peu une consommation des jeunes pousses, apparemment amères sur Dicksonia antarctica, tout comme la moelle bouillie, crue ou rôtie prélevée dans la partie supérieure du tronc juste en dessous du point de croissance.

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La « crosse » caractéristique des jeunes feuilles de fougères pas encore tout à fait réveillées

C’est surtout dans la culture Maori que la fougère semble appréciée traditionnellement en usage médicinal. Cyathea medullaris est recensée ainsi pour des usages vermifuge, antidiarrhéiques et anti-inflammatoires. Le plus souvent, ce sont les jeunes pousses des frondes qui ne se sont pas encore dépliées qui sont utilisées.

Le cœur de Cyathea arborea, ce qu’il y a à l’intérieur du stipe est utilisé dans certaines régions. A Sainte-Lucie (Caraïbes), il est découpé, tranché, placé dans de l’eau en macération et l’eau est bue contre les refroidissements.

Menacée chez nos voisins guadeloupéens…

Mais la fougère arborescente est menacée par les terribles colonies de fourmi Manioc, ces énormes fourmis qui mesurent jusqu’à 1cm et sont aussi appelées fourmi « coupe-feuilles », leur activité favorite après la culture du champignon qu’elles nourrissent inlassablement.

En Guadeloupe, elles ont commencé à décimer dans la forêt de Basse-Terre une grande variété de végétaux (et surtout les cultures!!), dont les fougères arborescentes (Cyathea arborea, Cyathea grandifolia, muricata, imrayana, tenera, pungens). L’humidité apparaît comme le seul obstacle capable de stopper leur appétit carnassier.. Ainsi il se pourrait que dans quelques années, on ne retrouve plus ce type de fougères que sur les hautes altitudes, comme en Amérique où elle faisait déjà des ravages avant de s’offrir une échappée dans la Caraïbe.

En Martinique, la fourmi Manioc n’est pas présente. Pas encore… Espérons que cela n’arrive pas, mais le mal est vite fait. Il suffit qu’un végétal porteur soit introduit en fraude, dans un bagage et c’en sera fini pour nous aussi. On croise les doigts pour que chacun soit responsable…

… pour que nos belles fougères, n’aient pas de soucis à se faire !

 

 

cyathea-arboreaLes sources:

    3 replies to "Fougères arborescentes et forêts de cinéma (cyatheales)"

    • Slina

      Je connais un usage de la grande fougère européenne: en macération pour lutter comme insecticide contre les parasites vers et nématodes dans les sols et sur les cultures potageres
      Plutôt toxique, la macération est de couleur violette.
      Elle est egalement mentionnée dans des manuels de préparation en pharmacie mais je ne le me souviens plus du nom de la substance active

    • Jean-François BERNARD

      La sculpture sur tronc de fougère a un impact non négligeable sur les forêts de montagne et la coupe de ces plantes est de toute façon interdite dans les massifs des réserves biologiques domaniales qui couvrent une grande partie de la forêt ombrophile submontagnarde et la plus grande partie de la forêt ombrophile de montagne.
      Au vu de la vitesse de destruction actuelle, le peu de nature sauvage qu’il reste dans le monde ne doit évidemment pas être exploité quelque soit par ailleurs le caractère sympathique des créations artisanales qui sont signalées ici. Présenter ses activités comme si tout allait bien, ce n’est pas aider à la conservation de la nature.
      Les fougères arborescentes se développent très lentement, l’espèce présentant la croissance la plus rapide est celle qui est ici sur la première photo, elle grandi en moyenne de 30cm par an (Tryon &Tryon 1981)
      Il y a 5 espèce de fougère arborescente appartenant à la famille des cyatheaceae l’espèce aux cicatrices foliaires en losanges clairs (deuxième photo) est Cyathea tenera.
      bon courage pour vos articles

    • Milica

      Merci pour toutes ces recherches et pour le partage ! Je me suis totalement retrouvée dans la description de ces belles plantes ! et le côté décor de film (ça m’a d’ailleurs fait le même effet avec la siguine et d’autres plantes quand j’ai découvert la Guadeloupe en 2003 – j’y vis depuis 10 ans). J’adore l’humour dont tu fais preuve (j’écris « tu » parce que j’ai l’impression de te connaître après tous les articles lus !). J’attends le prochain avec impatience ! Milica

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